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Lumière d'août
7 février 2011

Les Voyageurs de l'impériale d'Aragon

Aragon est souvent reconnu pour sa poésie, blâmé pour ses opinions politiques, et oublié pour ses romans.
Pourtant s'il y a bien une facette d'Aragon que je retiendrais, c'est celle du romancier. Je ne vous parlerai pas longuement d'
Aurélien, non parce que ce roman n'a pas d'intérêt ou ne m'a pas marqué, mais bien au contraire car ma lecture en fut bouleversante. 

Aragon porte un regard acéré sur le monde. Dans Aurélien, c'est le bois de Boulogne et ses promenades, c'est Picasso, les dadaïstes, Cocteau. Bref les années folles. Mais c'est surtout le spleen d'Aurélien, le goût de l'absolu de Bérénice, et leur quête amoureuse. Aurélien est le quatrième volume du cycle du monde réel, le plus connu. Le troisième volume c'est ma dernière lecture: Les voyageurs de l'impériale

les_voyageurs_de_l_imp_riale

Aragon lui-même a reproché à son roman d'être mal construit, et il est vrai que les trois parties s'enchaînent bizarrement et forment une drôle de construction, un peu irrégulière et cabossée. Mais cela n'enlève rien au charme et à la force de ce récit qui traverse la fin du XIXème (des années 1880 à la première guerre mondiale) évoquant au passage les grands évènements de l'époque: L'exposition universelle (1889), Le scandale du Panama (1889), l'affaire Dreyfus, Fachoda (1898), Agadir (1911), l'assassinat de François-Ferdinand (1914) ainsi que les grands noms de la peinture de la fin du XIXème (Monet etc...).

La première partie retrace brièvement la vie d'un couple de bourgeois provinciaux Pierre et Paulette Mercadier jusqu'à l'été 1897. Pierre Mercadier est professeur d'histoire dans l'enseignement secondaire. Il a hérité d'une fortune conséquente, lui permettant d'épouser Paulette d'Ambérieux issue de la petite noblesse et dont le père était préfet de police (comme le fut quelques mois celui d'Aragon). On comprend assez rapidement que Paulette est une sotte, Pierre un faible et qu'ils sont tous deux horriblement égocentriques. Pierre revendique d'ailleurs vivement sa marginalité et son désintérêt de la vie politique. Seulement alors que Paulette convoite, Pierre lui, pense... et développe une caricature de philosophie. 

Pierre est fasciné par l'argent, non à cause des biens matériels qu'il peut procurer, mais d'une manière plus détachée, par sa capacité à fluctuer : il joue d'ailleurs à la bourse, où il perd une partie de sa fortune dans le scandale du Panama, et tente d'écrire un essai historique sur Law (l'inventeur du papier monnaie au début du XVIIIe siècle).

Rapidement sa vie lui devient insupportable: son métier lui pèse, il n'aime pas sa femme et ses enfants lui sont indifférents. Pierre n' est pas l'évocation du bourgeois typique de la fin du XIXème siècle, satisfait par sa vie de famille, par son commerce etc... Il est lui aussi une incarnation du mal du siècle. Tout bascule lors du "bel été", passé chez l'oncle de Paulette. Des étrangers (de Lyon) ont loué une partie du château, entraînant un bouleversement profond dans la vie des personnages. Pierre découvre, en même temps que son fils Pascal, la sensualité et le désir. 

Je ne voudrais pas en dire trop. La seconde partie et la troisième partie relatent les conséquences d'une décision radicale prise par Pierre Mercadier. Aragon descend au plus profond de l'âme humaine et en extrait les comportements les plus égoïstes. 
Les voyageurs de l'impériale est un roman cruel, noir et pessimiste qui évoque l'irresponsabilité de l'homme comme du citoyen (l'aveuglement des différents personnages en matière politique est frappant), le rejet du carcan traditionnel, la déception et la vieillesse. 

Ce que j'ai trouvé absolument extraordinaire dans ce récit, c'est la capacité d'Aragon de nous amener à blâmer des comportements tout en les comprenants. C'est aussi sa faculté à nous montrer l'horreur et la grandeur d'une même action, la crasse au milieu d'un mon monde comme il faut, la beauté horrifiante au milieu d'un monde repoussant. 
Les voyageurs de l'impériale est une oeuvre qui dépeint la médiocrité et la bassesse de manière sublime, bref de la pure poésie. 

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