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Lumière d'août

28 mars 2011

Bonjour tristesse de Françoise Sagan


bonjour_tristesseCela faisait des années que j'entendais parler de Bonjour tristesse et sa lecture semblait un passage obligé au lycée. Seulement voilà j'avais tellement d'a priori négatifs que je n'avais jamais pris le temps de le lire. 

L'année dernière, mon université à Copenhague donnait des livres français et je suis tombée sur une vieille édition de Bonjour tristesse

Quelle rencontre ! Je ne sais pas si l'édition, l'odeur du papier, qui me rappellent les livres laissés par ma mère et ses frères et soeurs dans la maison des mes grands-parents en Bretagne ont joué un rôle, mais je me suis laissée enliser dès la première phrase.

Le monde dépeint n'est certainement pas le mien. Seulement voilà si les personnages sont en apparence d'une légèreté et d'une inconscience à faire peur, l'intrigue, simple au premier abord, nous permet d'en découvrir toutes les contradictions. Je parle essentiellement de Cécile, cruelle puis prise de remord, telle une enfant trop vite grandie.

Je ne pense pas que ce livre ait mal vieilli. Certes, l'engouement pour le personnage de Françoise Sagan a disparu mais l'auteur reste. L'écriture est remarquable, sans fioriture, efficace... tellement évocative.

 «Je me rends compte que j'oublie, que je suis forcée d'oublier le principal : la présence de la mer, son rythme incessant, le soleil. Je ne puis rappeler non plus les quatre tilleuls dans la cour d'une pension de province, leur parfum ; et le sourire de mon père sur le quai de la gare, trois ans plus tôt à ma sortie de pension, ce sourire gêné parce que j'avais des nattes et une vilaine robe presque noire.»

Les relations complexes entre les personnages se dévoilent ou se nouent. Tout au long du récit on ne sait pas trop si l'on doit faire confiance à Cécile, à sa lucidité. Sa motivation semble bien bancale ; elle dresse un portrait sans concession d'elle-même et pourtant ses raisons d'agir deviennent de plus en plus floues. Ses sentiments pour Cyril, son incapacité à savoir si elle tient vraiment à lui sont fascinants, et il est à mon avis assez facile de s'y retrouver. 

Non Françoise Sagan ne devrait ni être confinée aux salles de classe, ni reléguée aux fonds des placards. Ce livre est une petite perle de la littérature française, sans que les frasques de son auteur y soient pour grand chose.

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7 février 2011

Les Voyageurs de l'impériale d'Aragon

Aragon est souvent reconnu pour sa poésie, blâmé pour ses opinions politiques, et oublié pour ses romans.
Pourtant s'il y a bien une facette d'Aragon que je retiendrais, c'est celle du romancier. Je ne vous parlerai pas longuement d'
Aurélien, non parce que ce roman n'a pas d'intérêt ou ne m'a pas marqué, mais bien au contraire car ma lecture en fut bouleversante. 

Aragon porte un regard acéré sur le monde. Dans Aurélien, c'est le bois de Boulogne et ses promenades, c'est Picasso, les dadaïstes, Cocteau. Bref les années folles. Mais c'est surtout le spleen d'Aurélien, le goût de l'absolu de Bérénice, et leur quête amoureuse. Aurélien est le quatrième volume du cycle du monde réel, le plus connu. Le troisième volume c'est ma dernière lecture: Les voyageurs de l'impériale

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Aragon lui-même a reproché à son roman d'être mal construit, et il est vrai que les trois parties s'enchaînent bizarrement et forment une drôle de construction, un peu irrégulière et cabossée. Mais cela n'enlève rien au charme et à la force de ce récit qui traverse la fin du XIXème (des années 1880 à la première guerre mondiale) évoquant au passage les grands évènements de l'époque: L'exposition universelle (1889), Le scandale du Panama (1889), l'affaire Dreyfus, Fachoda (1898), Agadir (1911), l'assassinat de François-Ferdinand (1914) ainsi que les grands noms de la peinture de la fin du XIXème (Monet etc...).

La première partie retrace brièvement la vie d'un couple de bourgeois provinciaux Pierre et Paulette Mercadier jusqu'à l'été 1897. Pierre Mercadier est professeur d'histoire dans l'enseignement secondaire. Il a hérité d'une fortune conséquente, lui permettant d'épouser Paulette d'Ambérieux issue de la petite noblesse et dont le père était préfet de police (comme le fut quelques mois celui d'Aragon). On comprend assez rapidement que Paulette est une sotte, Pierre un faible et qu'ils sont tous deux horriblement égocentriques. Pierre revendique d'ailleurs vivement sa marginalité et son désintérêt de la vie politique. Seulement alors que Paulette convoite, Pierre lui, pense... et développe une caricature de philosophie. 

Pierre est fasciné par l'argent, non à cause des biens matériels qu'il peut procurer, mais d'une manière plus détachée, par sa capacité à fluctuer : il joue d'ailleurs à la bourse, où il perd une partie de sa fortune dans le scandale du Panama, et tente d'écrire un essai historique sur Law (l'inventeur du papier monnaie au début du XVIIIe siècle).

Rapidement sa vie lui devient insupportable: son métier lui pèse, il n'aime pas sa femme et ses enfants lui sont indifférents. Pierre n' est pas l'évocation du bourgeois typique de la fin du XIXème siècle, satisfait par sa vie de famille, par son commerce etc... Il est lui aussi une incarnation du mal du siècle. Tout bascule lors du "bel été", passé chez l'oncle de Paulette. Des étrangers (de Lyon) ont loué une partie du château, entraînant un bouleversement profond dans la vie des personnages. Pierre découvre, en même temps que son fils Pascal, la sensualité et le désir. 

Je ne voudrais pas en dire trop. La seconde partie et la troisième partie relatent les conséquences d'une décision radicale prise par Pierre Mercadier. Aragon descend au plus profond de l'âme humaine et en extrait les comportements les plus égoïstes. 
Les voyageurs de l'impériale est un roman cruel, noir et pessimiste qui évoque l'irresponsabilité de l'homme comme du citoyen (l'aveuglement des différents personnages en matière politique est frappant), le rejet du carcan traditionnel, la déception et la vieillesse. 

Ce que j'ai trouvé absolument extraordinaire dans ce récit, c'est la capacité d'Aragon de nous amener à blâmer des comportements tout en les comprenants. C'est aussi sa faculté à nous montrer l'horreur et la grandeur d'une même action, la crasse au milieu d'un mon monde comme il faut, la beauté horrifiante au milieu d'un monde repoussant. 
Les voyageurs de l'impériale est une oeuvre qui dépeint la médiocrité et la bassesse de manière sublime, bref de la pure poésie. 

11 juillet 2010

Pierrot le fou de Godard

J'étais la première à dire: Godard c'est chiant et prétentieux... Mais peut-on juger un réalisateur après avoir vu deux de ses films ? Surtout lorsque celui-ci a réalisé plus d'une cinquante de films en cinquante ans ? 
Alors certes je me suis royalement emmerdée pendant 
Le Mépris (où seul le look de Brigitte Bardot a retenu mon attention), certes A bout de souffle ne m'a pas marqué plus que cela mais...Pierrot le fou c'est une autre histoire! 

"Pierrot le Fou c'est un petit soldat qui découvre avec mépris qu'il faut vivre sa vie, qu'une femme est une femme, et que dans un monde nouveau, il faut faire bande à part pour ne pas se retrouver à bout de souffle". Jean-Luc Godard


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Pierrot le fou, c'est un intellectuel blasé : Ferdinand (hommage au Voyage au bout de la nuit sans doute), marié à une riche italienne. Revenu d'une soirée mondaine chez ses beaux-parents, il décide de tout plaquer pour partir avec la Baby-sitter (une ancienne amante), vers le sud de la France, l'Italie peut-être... 

Godard étant Godard, on ne comprend pas grand chose. Mais l'on observe avec fascination les deux personnages se perdre, se déchirer, s'aimer. Le film est éclatant, les références fusent, les plans sont justes, l'histoire nous prend aux tripes. Ce qui fait la force de ce film, c'est son jeu poétique permanent : entre citations littéraires, humour grinçant, amertume, regards et échappées. Ferdinand et Marianne ne savent pas pourquoi ils vivent mais ils foncent... et s'effondrent... Anna Karina et Belmondo crèvent l'écran... 

pierro11

Ferdinand : - Un poète qui s'appelle revolver... 
Marianne : - Robert Browning 
Ferdinand : - Pour échapper 
Ma
rianne : - Jamais
Ferdinand : - Bien aimé
Marianne : - Tant que je serais moi 
Ferdinand : - Et que tu seras toi
Marianne : - Aussi longtemps que nous vivrons tous les deux
Ferdinand : - Moi qui t'aime 
Marianne : - Et toi qui me repousses
Ferdinand : - Tant que l'un voudra fuir 
Marianne : - Cela ressemble trop à la fatalité

 La bande-annonce est une petite merveille, à regarder de toute urgence. 

12 janvier 2010

Jean Rhys, La Prisonnière des Sargasses

 L’année dernière est paru aux Éditions Denoël un recueil de nouvelles de Jean Rhys inédites en français : L’oiseau moqueur et autres nouvelles. Mais Jean Rhys a également écrit des romans, dont son œuvre majeure, qui a connu un grand succès de son vivant, La prisonnière des Sargasses (Wide sargasso sea). Les récits de Jean Rhys sont partiellement autobiographiques : elle y parle des Antilles et y relate ses expériences en Europe. Elle met en scène, à travers une langue marquée par la créolité, des femmes souvent déchues et avides de liberté. 

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 « Si je cesse d’écrire, ma vie n’aura été qu’un échec atroce. Je n’aurai pas gagné ma mort »

Ella Gwendolen Rees Williams, ou Jean Rhys, a vécu, à l’image de ses héroïnes, une vie tourmentée. Elle naît en 1890 à la Dominique, une île des Antilles anglaises, d’un père d’origine galloise et d’une mère créole. Elle grandit au sein d’une communauté majoritairement noire avant de quitter sa terre natale à l’âge de dix-sept ans pour l’Angleterre où elle devient Chorus girl. Elle part ensuite en Autriche et s’installe finalement à Paris. S’en suit une période prolifique où elle publie de nombreuses œuvres. Néanmoins, dans les années 1940 son état se dégrade : elle connaît la pauvreté, l’alcoolisme et est même arrêtée en 1949 pour avoir agressé ses voisins – épisode qu’elle raconte dans Qu’ils appellent ça du Jazz1. En 1966, elle publie La prisonnière des Sargasses, et à travers l’histoire de son héroïne, qui est d’ailleurs un personnage secondaire du roman Jane Eyre de Charlotte Brontë, elle nous parle des Antilles, de la solitude, et de la haine qu’un homme finit par éprouver pour une femme qu’il ne comprend pas.

La prisonnière des Sargasses met en scène une jeune créole, Antoinette Cosway, qui vit avewide_sargasso_sea_2c sa mère et son frère dans une plantation isolée et délabrée de la Jamaïque. Toute son enfance elle ne connaît que l’indifférence de sa mère, obsédée par son frère à la constitution fragile, et les révoltes d’esclaves. Elle est alors envoyée dans un couvent qu’elle quitte à l’âge de dix-sept ans pour se marier à un Anglais, Mr Rochester, récemment débarqué à la Jamaïque. Mais celui-ci est trop arrogant et égoïste ; imbu de lui-même, prisonnier de ses préjugés, il ne s’intéresse pas à elle.

« Il y a trop de tout, telle était mon impression tandis que je chevauchais avec lassitude derrière Antoinette. Trop de bleu, trop de violet, trop de vert. Les fleurs sont trop rouges, les montagnes trop hautes, les collines trop proches. Et cette femme est une étrangère. Son expression implorante m'est désagréable. Je ne l'ai pas achetée, c'est elle qui m'a acheté, ou, en tout cas, elle le pense. Je baissai les yeux sur la crinière rude du cheval... Cher Père. On m'a versé les trente mille livres sans discussion ni conditions. »2

Au fur et à mesure du roman, leur relation se dégrade et l’on perçoit le lent changement qui s’opère dans les sentiments de Mr Rochester dont l'indifférence finit par se transformer en une haine farouche.

« Je me levai enfin ; le soleil, maintenant était ardent. Je marchais avec raideur et ne parvenais pas à me forcer à réfléchir. Puis je passai à côté d'une orchidée avec de longs rameaux fleuris d'un brun doré. Une des fleurs toucha ma joue et je me souvins d'en avoir cueilli quelques-unes pour Antoinette, un jour. "Elles vous ressemblent", lui avais-je dit. À présent, je m'arrêtai pour en casser un rameau et je l'enfonçai dans la boue en le piétinant. »3

 La priwide_sargasso_seaso nnière des Sargasses est un livre d'une éblouissante cruauté. Celle d'un homme qui ne parvient pas à percevoir sa femme autrement que comme une étrangère et qui finit par la haïr. La haïr parce qu’il est incapable de l’aimer, la haïr pour l'emprise qu'elle possède sur ses sens, pour les promesses qu'il lui a faites et qu'il n'arrive pas à tenir. Bref, parce qu'elle lui a montré qu'il était faible. Ce qui est étonnant c'est que le lecteur perçoit véritablement les sentiments qui le submergent petit à petit et vers la fin du livre on parviendrait presque à le comprendre tant Antoinette apparaît ravagée, après avoir sombré dans la folie et l’alcool. Mais La prisonnière des Sargasses c’est surtout l'histoire de cette femme qui aime en vain et à en devenir folle. Ce roman est également une peinture sublime des Antilles. Néanmoins, Jean Rhys ne met pas l’accent sur les paysages exotiques – même si l'on trouve un certain nombre de descriptions – mais davantage sur l'atmosphère particulière, souvent étouffante et poisseuse, qui exacerbe les passions et accentue le mal-être. Antoinette Cosway, que son mari finira par appeler Bertha, est également un double de l’auteur, les questions qu’elle se pose sur son identité sont une projection de celles de Jean Rhys.

« C'était une chanson sur un cancrelat blanc. C'est moi. C'est comme ça qu'ils nous appellent nous tous qui étions ici avant que les gens de leur propre race, en Afrique, ne les vendent aux marchands d'esclaves. Et j'ai entendu des Anglais nous appeler des nègres blancs. Aussi, entre vous tous, je me demande qui je suis, et où est mon pays et à quelle race j'appartiens et pourquoi je suis née du reste ! » 4 

Quand au mari, il formule clairement ce que nombre d’Européens pensent des Créoles antillais:

« Des yeux en amande, tristes, sombres, étrangers. Elle a beau être une Créole de pure descendance anglaise, ces gens-là ne sont pas anglais ni non plus européens. »5

En général, je n’aime pas les livres qui reprennent les personnages d’autres romans. Néanmoins, La prisonnière des Sargasses est bien plus qu’un prélude à Jane Eyre, même si Antoinette Cosway est bien la première femme de Mr Rochester ; celle qu’on découvre enfermée dans le grenier de la belle demeure anglaise et qui finira par y mettre le feu. En effet, il constitue une œuvre entièrement indépendante et il n’est pas nécessaire d’avoir lu le roman de Charlotte Brontë pour lire celui-ci. L’auteur n’insiste pas sur l’origine de ses personnages, tout lecteur averti comprend de lui-même. D’autre part, Jean Rhys a une approche entièrement différente. Elle ne porte pas du tout le même regard sur Antoinette et Mr Rochester que Charlotte Brontë puisque celle-ci est humanisée - à travers son histoire et la mise en relief de ses sentiments. Néanmoins, dans La Prisonnière des Sargasses Mr. Rochester n’est pas non plus présenté comme un monstre, Jean Rhys n’opère pas un renversement complet des perspectives : les décisions qu’on lui a imposées, le caractère de sa femme expliquent en grande partie son attitude. D’autant plus, que la folie d’Antoinette Cosway semble être une fatalité, puisqu’elle suit exactement le même chemin que sa mère. 

1 A septembre Pétronella suivi de Qu’ils appellent ça du Jazz, éd. folio 2 euros.

2 éditions Imaginaire Gallimard page 81.

3 éditions Imaginaire Gallimard page 121.

4 éditions Imaginaire Gallimard page 124.

5 éditions Imaginaire Gallimard page 77.

10 novembre 2009

Andrea Camilleri : un maître du polar

On parle souvent de la littérature policière comme d’un sous-genre, où le travail littéraire est inexistant. Seulement, certains auteurs sortent du lot, que cela soit par leur écriture, le cadre dans lequel se déroule leur roman ou par l’originalité de leurs personnages. C’est le cas du sicilien Andrea Camilleri, que j’apprécie tout particulièrement.

76_andrea_camilleriAndrea Camilleri est né en 1925, à Porto Empedocle en Sicile, il a écrit une soixante d’ouvrages mais ses romans les plus célèbres sont ceux qui mettent en scène le commissaire Montalbano. Preuve de la qualité de ses livres, Andrea Camilleri est désormais édité dans la collection des Meridiani, l’équivalent de la Pléiade en Italie.
   La série « Montalbano » se déroule de nos jours à Vigati (Porto Empedocle). Si les meurtres, la corruption, le mystère sont bien présents, le plaisir de la lecture ne repose pas uniquement sur l’intrigue policière. Ainsi, le personnage de Montalbano partage avec Pepe Carvalho, le détective gastronome de Montalban, le goût de la bonne nourriture et Camilleri n’hésite pas à décrire les plats délicieux dont se délecte son héros. Par ailleurs, autour de Montalbano gravitent ses adjoints dont les bourdes, notamment celles de Catarella, préposé à l’accueil, sont absolument réjouissantes. Mais ce qui fait la véritable qualité des romans d’Andrea Camilleri, c’est le travail sur la langue. En effet, l’écrivain mêle à l’italien officiel des tournures empruntées au dialecte sicilien et le mélange des deux donne naissance à des tournures incorrectes mais extrêmement piquantes. On trouve parfois des verbes en fin de phrase, certaines lettres et parfois même des syllabes entières sont supprimées ou ajoutées, on trouve aussi des néologismes et des archaïsmes. Et si ce n’est pas toujours évident pour le traducteur, Serge Quadruppani, de rendre toutes ces variations, dans l’ensemble on retrouve bien le jeu sur la langue. Le traducteur s’inspire d’ailleurs des dialectes des régions françaises pour trouver des expressions équivalentes, à la fois imagées et décalées. En outre, les quelques mots qui restent en « italien » ne peuvent qu’ajouter au charme du récit.

   « Dedans le frigo, il atrouva une assiette très considérable de caponata et un gros morceau de cacciocavallo de Raguse. Adelina lui avait aussi acheté du pain frais. Il avait un pétit à lui brûler les yeux » (Un été ardent, p. 50, éd. fleuve noir).

   Il existe pour le moment quatorze « Montalbano » traduits en français dont la plupart sont sortis en poche aux éditions pocket. Je ne les ai pas tous lus, mais je n’ai encore jamais été déçue. Si vous voulez découvrir cet auteur, voici quelques échantillons de ses œuvres.

La Première enquête de Montalbano est composée de trois nouvelles qui mettent bien en valeur le caractère du commissaire et le charme de l’écriture. Pour sa première enquête, Montalbano se trouve face à une affaire complètement surréaliste où le tueur a un drôle d’humour : le premier meurtre est celui d’un poisson abattu à coups de 7.65. Bien qu’il s’agisse de courts récits, Andrea Camilleri fait preuve d’une maîtrise du suspense assez remarquable et les fins de ces trois nouvelles sont surprenantes tout en restant plausibles.

la_lune_de_papierSi les deux derniers « Montalbano » traduits en français  font également preuves d’une maîtrise étonnante de l’intrigue policière, encore une fois, ne se limitent pas à cela. Dans La Lune de papier, Andrea Camilleri met en scène, avec beaucoup d’humour, « un triangle de vaudeville, biscornu et perverti »*. Le lecteur se trouve face à un mort qui aurait pu être tué par deux femmes : d’un côté une amante brûlante et manipulatrice, de l’autre une sœur possessive et autoritaire. L’enquête est menée par le commissaire Montalbano, obsédé par sa propre mort et la vieillesse qui lui fait perdre la mémoire.

Un Été ardent mérite également le détour. Après quelques épisodes farfelus, le commissaire Montalbano finit par trouver le cadavre d’une jeune fille du village, disparue quelques années auparavant. La langue de Camilleri est à l’image du titre, flamboyante, et tout au long du récit, les scènes comiques illuminent une histoire extrêmement sombre et parfois un peu sinueuse. Les dialogues sont savoureux et écrits à la manière « d’une pièce de théâtre dans laquelle les acteurs ne se prendraient pas au sérieux »*. Mais Camilleri dresse également un portrait satirique de la société sicilienne, notamment de la mafia qui est aujourd’hui plus que jamais présente sur l’île. On s’aperçoit également que le dottore Montalbano, qui s’interrogeait dans le roman précédent sur son vieillissement, ne maîtrise pas autant la situation qu’il ne le pense.

   Andrea Camilleri n’est ni le premier ni le seul dont les romans policiers dépassent le cadre strict de l’enquête. Dans un tout autre genre, Wilkie Collins, dont les oeuvres annoncent le roman policier, brosse à travers ses « romans à sensation » le portrait de la société victorienne anglaise dont il est le contemporain. La Dame en blanc est un récit cynique qui esquisse dans un style presque cinématographique les habitudes de la bourgeoisie « noblaillonne ».  

Parmi les auteurs contemporains, Arnaldur Indridason s’intéresse à la société islandaise. Ses romans entretiennent un rapport étroit avec le passé et la mémoire et révèlent un pays parfois torturé. L’écriture sèche et froide soutient à merveille ces récits. L’homme du lac expose les liens qui ont pu exister entre l’Islande et les pays de l’Est pendant la seconde moitié du XXème siècle. Arnaldur Indridason présente donc une Islande bien moins à l’écart de l’histoire qu’on pourrait le croire.
Néanmoins, le travail sur la langue opéré par Camilleri reste extrêmement original, notamment dans le cadre d’un roman policier.

* Selon l’expression de Mikaël Demets (source « Evene »).

 

Bibliographie :

- Andrea Camilleri, La Première enquête de Montalbano (La prima indagine di Montalbanon, 2004), éd. Point.

- Andrea Camilleri, La lune de Papier (La luna di carta, 2005), éd. fleuve noir.

- Andrea Camilleri, Un été ardent (La vampa d'agosto, 2006), éd. fleuve noir.

- Wilkie Collins, La Dame en Blanc (The Woman in white, 1860), traduction de l’anglais par L. Lenob, éd. Phébus.

- Arnaldur Indridason, L’homme du lac (Kleifarvatn, 2004), traduction de l'islandais par Éric Boury, éd. Métaillé.

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13 juin 2009

Chu Teh-Chun et la manufacture de Sèvres

De neige, d'or et d'azur : un maître chinois contemporain au musée Guimet du 10 Juin au 7 septembre 2009.

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Le musée Guimet présente actuellement de nombreux vases en céramique réalisés par Chu Teh-Chun, un artiste chinois contemporain, à la Manufacture de Sèvres. Ces vases sont un étonnant mélange entre différentes traditions et différentes époques. Alors que la forme des vases relève de la plus pure tradition chinoise, les techniques de peinture sont le fruit des techniques chinoises et des techniques françaises.

artiste_peignant_enligneChu Teh-Chun est né en 1920, sous la jeune République chinoise du Dr Sun Yat-Sen1. Ses origines et son éducation familiale lui font connaître la Chine classique, son père, un médecin et collectionneur, lui inculque très tôt, avec son oncle, un lettré rompu aux arts, les principes de la calligraphie. En 1935, il rejoint l’Ecole nationale des Beaux arts de Hangzhou et commence l’apprentissage des techniques européennes. Avec l’invasion japonaise, il est obligé de quitter la ville et longe le fleuve Bleu jusqu’au Sichuan. La guerre terminée il rentre au Nankin, mais l’Europe ne cesse de le hanter et cinq ans plus tard, en 1955, il s’installe à Paris. Là, il partage son temps entre le Louvre, l’Alliance française et l’Académie de la Grande chaumière2. Un an plus tard, il découvre l’œuvre de Nicolas de Staël (1914 - 1955), qui bouleverse son art, et passe de la peinture figurative à l’abstraction.
Ce passage offre à l’artiste une passerelle entre la Chine et l’Occident. Chu Teh-Chun s’éloigne progressivement du réalisme académique et à partir des années 60 commence à exposer, à Paris d’abord, puis en Suisse, en Italie, en Espagne, au Brésil... Dans les années 70, il est confronté à l’œuvre de Rembrandt (1606-1669) au Rijksmuseum d’Amsterdam.
Conquis par les possibilités nouvelles de la lumière, Chu Teh-Chun change le rapport du peintre à son œuvre. Il s’inspire des grands paysages des Song3 et rejette l’horizon derrière le spectateur, installant celui-ci au cœur de la composition. Ses peintures nécessitent désormais un format plus important, et dans les années 90 il peint, notamment, des diptyques et des triptyques. C’est sans doute à la suite de plusieurs voyages en Chine qu’il renoue avec l’organique et le panoramique et quitte les chemins de l’abstraction pure.

Dans le courant des années 2000, Chu Teh-Chun s’intéresse aux céramiques et monte un projet avec la Manufacture nationale de Sèvres. La Manufacture lui fournit une porcelaine dont la blancheur est extrêmement réputée ainsi qu'une gamme étendue d’or et un bleu saphir inimitable. Mais l’acquisation de la technique française n’a pas empêché pas l’artiste de retourner aux sources de l’art chinois. Avant de commencer à peindre, il a examiné pendant de longues heures les ouvrages des potiers chinois dans les galeries et les réserves du musée Guimet.

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Grande Jarre, Chine du Nord-Ouest, fin du IIIe millénaire avant J.-C.,
Terre cuite rosée décor peint en rouge et brun

Chu Teh-Chun choisit finalement comme support des objets dont les volumes s’affirment dans l’espace, et plus particulièrement les vases de type SR22. Il s’inspire ainsi ouvertement des pièces chinoises dont le profil est à la fois rigoureux et équilibré. Pendant deux ans il a peint cinquante-sept vases. Le moulage, le coulage, l’émaillage, le décor, le brunissage,  lui ont pris au total plus de trois cents heures. Au fil du temps, Chu Teh-Chun dépouille sa palette pour en intensifier l’expressivité.

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L’installation au Musée Guimet met bien en valeur la pureté des formes et la profondeur des couleurs : dans une petite salle du quatrième étage, une bonne partie des vases sont exposés sur des colonnes blanches et dans une lumière bleutée. Il faut ensuite se déplacer dans d’autres espaces du musée, et notamment dans les salles réservées à l’art chinois, pour apercevoir vis à vis des pièces de collection, d’autres vases en céramique de Chu Teh-Chun. L’exposition est accompagnée d’un film qui montre l’artiste au travail.

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Notes

1 Sun Yat-sen ( 12 novembre 1866 - 12 mars 1925) était un leader révolutionnaire et un homme d'État chinois qui est considéré comme « le père de la Chine moderne ». Il a eu une influence significative dans le renversement de la dynastie Qing et l'émergence de la République de Chine. Il a été le premier président de la République de Chine en 1912 et son leader de 1923 à 1925. Il a développé une philosophie politique connue sous le nom des Trois principes du peuple (nationalisme, démocratie et bien-être du peuple).

2 située au 14 rue de la Grande Chaumière à Paris, fondée en 1902 par la Suissesse Martha Stettler (1870-1946). Elle fut très réputée au début du xxe siècle.

3 Sous les Song (960-1270), le paysage devient le sujet par excellence de la peinture, cela se traduit par un développement des paysages monochromes à l’encre. Un des artistes majeurs de la période est le peintre Li Cheng (960-990).

Photos : Antoine Cabon (sauf pour la deuxième qui vient du site du musée Guimet)
Sources : Site du Musée Guimet, dépliant de l’expostion.

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